L'Assemblée Générale 2023 de la section de la fédération nationale du Mérite Maritime, section Poitou Charente, se déroulait au musée maritime de la Rochelle. Ce musée à flot compte parmi quelques spécimens classés Monuments Historiques, de France 1 navire météorologique à l'Angoumois, l’un des premiers chalutiers pêche arrière de 38 mètres construit à Dieppe en 1969, en passant par le remorqueur portuaire Saint Gilles, Joshua le ketch rouge du navigateur Bernard Moitessier ou encore le Canot Tous Temps ex SNSM Capitaine de Frégate Leverger construit aux chantier Lemaistre de Fécamp dans les années soixante. Outre le temps institutionnel de la vie associative, une assemblée générale est aussi le temps d'un échange convivial entre marins de tous horizons. Christian Wozniak vice-président de la fédération nationale du mérite maritime présent à cette assemblée générale est ainsi allé à la rencontre de Guy Kerignard dernier commandant en 1974 du paquebot France et commandeur du Mérite Maritime.
C'est l'occasion de se replonger dans l'histoire légendaire de ce fleuron de la construction navale française qui démarre par une réflexion stratégique du choix entre un grand paquebot transatlantique ou deux plus petits. Et maintenant que le France s'achève et qu'il s'en aille vers l'océan, vive la France ! Cette citation du Général de Gaulle de 1962, à la mise à l’eau de ce transatlantique de 315 mètres, témoigne de l'esprit et de la volonté de rayonnement de la France sur les mers. Le paquebot est conçu pour accueillir 2000 passagers pour un équipage de 1100 hommes et femmes, 800 pour le service des passagers, dont 250 pour le service à table et la cuisine, stewards, 300 marins et officiers de pont, officiers machines et de sécurité. Avec 4 lignes d'arbres différenciées de 52 tonnes pour les plus lourdes, 4 hélices deux en bronze et deux autres en alliage, les lignes d’eau de ce lévrier des mers sont extrêmement élaborées, tendues vers un seul objectif, la vitesse du paquebot. A 31 nœuds le France traverse l'Atlantique en 5 jours. Particularité du navire, le recours à l'aluminium pour ses superstructures hautes, conférant au bâtiment un déplacement plus léger que Le Normandie, pourtant comparable en taille. A l'image d'un design d'avant-garde avec ses deux cheminées à aileron rouge et noir, le France file vite et bien. « Le France fonctionnait comme une horloge » commente Guy Kerignard dernier capitaine au long cours du paquebot sous pavillon français. De conception moderne, l'adéquation entre l’équipage et son navire était parfaite faisant de celui-ci, l'un des paquebots les plus sûrs de sa génération. En dépit d'un taux d’utilisation à l'année de 77% à 91%, la consommation de fuel est de 720 tonnes par 24 heures. En 1974, la subvention de l’Etat à la Compagnie Générale Transatlantique pour aider l'entreprise à passer le cap du choc pétrolier est retirée en dépit d’une promesse non tenue du candidat élu aux élections présidentielles. Vécue comme un abandon de la Marine transatlantique nationale, cette décision précipite la fin du France après 377 traversées de l'océan Atlantique, expression du savoir faire industriel naval et ambassadeur des arts de la table à la Française. Après cinq ans à l'abandon sur le quai de l'oubli au port du Havre, en 1979, Guy Kerignard convoye le France jusqu'à Bremerhaven où il devient Norway en passant sous pavillon norvégien. Après sa transformation en navire de croisière, la modernisation de ses deux machines arrières, n'entrainant plus que deux hélices, la consommation de fuel tombe à 282 tonnes par 24 heures à la vitesse de 18 noeuds. En 2007, le Norway cesse son activité de croisière. Rebaptisé Blue Lady en 2009, l’ex France est convoyé jusque dans l’Ouest de l'Inde où il finira sous les chalumeaux des ouvriers du plus important chantier de déconstruction au monde situé dans le port d'Alang. . .
© Eric Berthou