Être là au bon endroit, au bon moment est le défi du photographe maritime. Il imagine son approche pour révéler le sujet dans touts ses états. Mais si son œil et sa main sont prêts à saisir l'instant par temps calme ou dans la plume océanique, l’aventure démarre par une rencontre, une émotion qui marque la rétine et inspire le questionnement de l'artiste avant l'émerveillement du public. Le désir de créer oblige ainsi à monter une opération, un scénario météo permettant d'accéder au sujet, à son environnement, de faire découvrir au-delà de sa beauté graphique, sa fonction, son origine.
Véritable virtuose, le pilote d’hélicoptère vient servir l'objectif de la mission dans les conditions du direct avec un vent et une mer forte et des conditions de lumière optimales afin que le photographe tire la quintessence des images en mode plan ou rafale. Chasseur de tempête, le photographe Jean Guichard témoigne et exprime dans ses œuvres visuelles, toute la mesure et l'intensité de ses sujets dans leurs paysages naturels. Mondialement connu pour ses photos de phares, Jean Guichard témoigne ici sur le phare d'Ar-Men. Ce phare exceptionnel à plus d'un titre, de sa construction sur un site improbable à sa mise en lumière en 1881, offre un spectacle en cinémascope. Il s'anime par l'enchaînement des images au rythme des vagues qui enveloppent le phare d'Ar-Men et à plus de trente mètres de hauteur, percutent violemment sa lanterne. Les couleurs de la mer dans les images saisies sur le motif, témoignent entre le vert bouteille et les autres nuances de vert émeraude, d'un brassage des eaux profondes de surface et de l’écume générée par cet obstacle qui depuis plus de 140 ans, témoigne du génie humain et de la résilience des marins.
A l'entrée de l'Europe dans le suroît de l'Île d'Ouessant, la chaussée de Sein déborde, le cap Sizun, la pointe du Raz et la baie des Trépassés. Le célèbre dicton « qui voit Sein voit sa fin », donne la mesure de l'hostilité de l’océan Atlantique, notamment durant les tempêtes hivernales avec ses trains de déferlantes et ses vents dominant d'ouest soufflant à plus de 70 nœuds. Si le phare de la vieille illumine les parages et facilite la navigation dans le Raz de Sein depuis 1887, la carte des naufrages au 19e siècle, est constellée d'épaves montrant la nécessité de construire un phare en haute mer afin de parer les dangers à l'ouest du continent. Si le constat est partagé, le choix d'un site adapté est difficile à faire. En 1859, le naufrage sans victime de la Corvette Sané sur la chaussée de Sein, va déclencher une mobilisation des experts des phares et d'un hydrographe de la Marine. Dès 1860, démarre une prospection du meilleur site de construction, afin de construire un phare avec une portée géographique significative. Située dans la chaussée de Sein à quelques 5 milles à l'ouest d'Enez-Sun par des fonds de 70 mètres, le phare d’Ar-Men est érigé sur un pic rocheux qui émerge à 4,20 m au dessus du niveau de la mer. Offrant une assise de quelques 100 m2 pour réaliser ses fondations dans la roche, la tour blanche et noire de plus de 37 m de hauteur sur 6 étages, adopte un profil tronconique et un encorbellement dans la partie supérieure qui supporte la lanterne. L'appareillement des pierres est remarquable de précisions avec une maçonnerie de pierres de taille de Kersanton, de grès et de granites. L'ingéniosité des marins et ingénieurs, leur détermination en particulier sur les trois premières années consacrées aux fondations, travaillant, parfois dans l'eau, quelques jours dans l'année, vont permettre d’édifier une tour, pierres après pierres. Trente années de 1867 à 1881 sont nécessaires pour construire puis renforcer Le phare d’Ar-men, dont les vibrations sous l'assaut répété des vagues, évoqueront l'enfer aux gardiens de phares successifs.
On imagine les dangers de la relève du phare pour les marins et les gardiens avant l'hélicoptère. Le phare d'Ar-Men n'est-il pas celui du record de la plus longue relève rendue possible après trois mois de veille ? Comment faisait on ? Une scène de film culte tournée par l'acteur Philippe Torreton, donne une réponse spectaculaire à l'écran. Après avoir réussi à aborder le phare pour débarquer un agent à partir du pont de la pilotine des phares et balises, le second gardien assis sur son ballon, rejoint le phare grâce à un bout suspendu installé en va et vient afin d'assurer la relève du phare de la Jument…C’est la dernière manoeuvre du genre réalisée pour les besoins du Film L''équipier de Philippe Lioret en 2004. Automatisé depuis 1990, le phare d'Ar-men est classé monument historique depuis 2017 et bénéficie à ce titre d'une surveillance et d'un entretien. Le plus spectaculaire est sans doute le démontage de la lanterne en 2022, restaurée aux service des phares et balises à Brest (DIRMNAMO). Elle sera reposée en 2024 et un ravalement du phare sera réalisé.
L'hélitreuillage d'un agent des phares et balises sur le phare reste à l'évidence une performance de précisions. L'hélicoptère EC 145 jaune et rouge, Dragon 29 de la sécurité civile, donne à l'image une fausse impression de facilité d’intervention. Le regard de Jean Guichard dans ses photos sur le phare d'Ar-Men, dépasse la simple réalité. Avec forces et émotions, il met en images, la puissance de l'océan et l'art de la manœuvre de l'hélitreuillage en vol stationnaire face au vent, au dessus d'un phare légendaire entre mer et horizon. Photographe journaliste chez Sygma et Gamma, cet infatigable quêteur d'images, a parcouru de nombreux théâtres d'opérations avant de travailler en particulier sur les phares et le patrimoine maritime depuis les années quatre vingt.
En 2023, Jean Guichard a collaboré notamment à l'ouvrage format beau livre Secrets de mer, avec une double page exceptionnelle, en introduction à un article de dix pages consacré à la SNSM : Le canot tous temps Prince d'Eckmühl de Penmac'h et son équipage dans la tempête. Saisissant !
Jean Guichard est Chevalier de l’ordre national du Mérite Maritime depuis 2010.
© Eric Berthou
Caractéristiques du Phare d’Ar-Men :
Latitude 48o 03’, 005 N Longitude : 004o 59’, 865 W.
Construit de 1867 à 1881 puis consolidé jusqu'en 1897.
Tour blanche et noire tronconique, lanterne grise. Hauteur : 37 mètres 32 m au dessus des plus hautes mers.
Feu d'horizon : lentille 6 panneaux au 1/16 - Distance focale : 250 mm.
Feu blanc à trois éclats toutes les 20 secondes produit par une lampe halogène de 35 watts.
Portée géographique : 21 milles.