Thierry Choquet, commandant de remorqueur d'intervention d'assistance et de sauvetage (RIAS).
Profession marin
Né dans la cité corsaire en 1961, Thierry Choquet est marqué en 1978, par l'échouage à Portsall de l’Amoco Cadiz, un pétrolier rempli de 220 000 tonnes de fuel lourd : Il a 17 ans Cette marée noire sans précédent fera l'objet quelques années plus tard d'un procès retentissant à Chicago. Une première !
Attiré par la mer, il embarque pour la première fois, sur le cargo frigo Pêcheur Breton, de l'Armement Coopératif Finistérien puis le Marion Dufresne de la Marine scientifique des terres australes et antartiques françaises (TAAF), armée par la Compagnie Générale d'Armement CGM et bien d'autres. En 1981, il est élève officier mécanicien; A 27 ans il a navigué sur de nombreux océans autour du monde, se forgeant une solide expérience à la fois des conditions de navigations vécues au fil des milles parcourus et des différents types de navires en activités.
En 1992, il souhaite servir dans le sauvetage en mer afin d'éviter de nouvelles catastrophes en mer et sur le littoral. Il rejoint la société de remorquage les Abeilles Internationales. Son apprentissage se poursuit. Devenu lieutenant, il embarque avec Jean Bulot légende vivante du remorquage. Il perfectionne ainsi son art de la manœuvre sur l’Abeille Flandres, un remorqueur hauturier d'avant-garde en 1979. Ce bateau de 63,4 mètres et 12800 chevaux, devenu célèbre et son sistership Abeille Languedoc puis à partir de 2005 avec la nouvelle génération de R.I.A.S, l'Abeille Bourbon et l’Abeille Liberté, permettront de réaliser les sauvetages les plus spectaculaires de ces trente dernières années.
Second capitaine, Thierry Choquet devient commandant sur différents remorqueurs des Abeilles, qui vont lui permettre de progresser naturellement vers d’autres fonctions. En 1999, le commandant Choquet devient également salvage officer puis salvage master. Son engagement et son sens marin sont rapidement reconnus au sein de l'armement tout comme la préfecture maritime de l'Atlantique à Brest qui dans le cadre de l'application de la politique de l’Etat en mer engagée après la catastrophe de l’Amoco-Cadiz, déclenche le déploiement en opération des sentinelles de la mer.
Abeille Bourbon, remorqueur hauturier hors normes :
2005 Modèle UT 15 Ulstein Trading
Classifications : BV class 1 - HULL - MACHINR - SALVAGE TUG - Toutes zones de navigation - FIFI 2 - A UT UMS - DYNASAT - AM/AT. Chantiers :
Coque Maritim Ltd Un bulbe forgé à la main au chantier de Gdansk en Pologne.
Finitions, armement groupe Kleven, chantier Myklebust, Gursken près d'Oslo en Norvège.
Coque Acier : Longueur : 80 m Tirant d'air : 46,90 m, Largueur : 16,50 m, Tirant d'eau : 6 m
Déplacement : 4400 tonnes en charge
Moteurs : 4 moteurs ACK 8M32C de 400 KW chacun, 21450 chevaux couplés à un réducteur et inverseur de marche.
2 lignes d'arbre hélices à pas variable avec tuyères
Vitesse : 19,5 nœuds 16,5 n par force 7 beaufort
4 Propulseurs avant arrière 40 tonnes de force de traction latérale
Treuil de remorquage à deux tambours avec 1600 m de remorque chacun. 2x1600m en diamètre de 80 mm, 48 tonnes la remorque
Bollard Bull 200 tonnes
2 plateformes d'hélitreuillages avant et arrière
Lutte anti pollution chimique
Lutte incendie Électronique embarquée pour la navigation
Asistance médicale.
Télécommunication : Forêt Inmarsat Équipage : 12 marins
Port base : Brest quai Malbert.
Vie à bord
La visite du bord de impressionne par l’état neuf des surfaces des différents locaux, de la passerelle au PC machines et le rangement scrupuleux des équipements de service, prêts à l'emploi. Le confort des femmes et hommes d'équipage est soigné, des cabines au réfectoire en passant par la cuisine suréquipée pour faire face au tangage et au roulis du bateau par mer formée ou tempête. Être opérationnel sur l'un des plus gros remorqueurs hauturiers au monde, demande non seulement de l'expérience mais aussi un état d'esprit. Il faut accepter de vivre au rythme de l’alternance entre des périodes d'entretien de préparations et d'actions, en stand by au port de commerce de Brest, en alerte météo en baie de Camaret ou à Ouessant ou sur demande d'intervention du préfet maritime de l'Atlantique, responsable organique de l'action de l'Etat en mer. La disponibilité est totale 24 h sur 24, 365 jours par an.
Sortir en mer généralement dans une mer explosive et mal pavée comme la mer d'Iroise avec 60 à 100 nœuds de vent à l'anémomètre et des creux de 10 à 17 mètres, au moment où tout le monde rentre pour se mettre à l'abri, demande sang froid et concentration pour mener à bien la mission en gérant les risques inhérents à la navigation par gros temps pour secourir un équipage, son bateau et sa cargaison.
L’art de la manœuvre et l'interface électronique : Thierry Choquet passé maître dans l'art de la manœuvre du remorqueur, compte sur l'ergonomie d'une passerelle panoramique à 360 degrés et l'interface électronique qui assiste toutes les commandes de propulsion, les hélices à pas variable, le positionnement dynamique grâce à ses 4 moteurs couplés à deux lignes d'arbres, et ses quatre propulseurs d’étrave et de poupe. Fini la barre à roue, l’ère du Joystick a pris la relève en passerelle et en télécommande pour la mise à quai à partir des ailerons de passerelle. Le Joystick est à l’image de la commande Ride by Wire couramment utilisé dans l'industrie pour la commande électrique des papillons électroniques, afin de choisir le régime moteur désiré. Il est asservi par un logiciel qui permet de paramétrer la réactivité du geste que fait la main en déplaçant de quelques millimètres, ce petit levier de 10 centimètres de hauteur. « Ce que la main sait », réside dans l'amplitude et la mesure du déplacement bien loin d'une barre franche mais redoutable de précisions, menée par un œil et une main d'expert.
Mise en alerte :
En stand by quai Malbert au port de Brest, l'appareillage se fait contractuellement en 40 mn (en moyenne 25 mn) permettant au chef mécanicien d'effectuer le prégraissage des moteurs et de démarrer les machines. En pré-alerte météo, l'Abeille Bourbon rejoint la baie de Camaret, ou l'anse de Berthaume selon la direction des vents. Passé 30 noeuds, l'Abeille Bourbon rejoint la baie du Stiff à l'est d'Enez-Eusa, l'île aux cinq phares afin de réduire les temps d'intervention auprès des navires en difficulté à proximité du rail d'Ouessant.
Les conditions de mer, la visibilité réduite sous grain, dans la brume ou avec les paquets de mer qui s’écrasent sur la passerelle à 17 mètres de hauteur en dépit du bulbe d’étrave, de la forme tulipée,de la proue, du brise lame sur la plage avant de l’Abeille Bourbon, réservent toujours une part d'inconnus et de risques. Le maintien opėrationnel du remorqueur et de son équipage prend tout son sens ainsi que les procédures d'intervention bien rôdées comme celle particulièrement délicates du capelage du gréement de remorquage d'une pantoire sur le bollard avant ou arrière du navire non manoeuvrant.
Le récit circonstancié des interventions de sauvetage témoigne pourtant d'une forte concentration et d'une tension palpable à bord malgré l’expérience des 12 membres d'équipage.
L'une des expériences de remorquage les plus marquantes du Commandant Thierry Choquet est celle de la prise en charge le 8 octobre 2010 du chimiquier YM Uranus, avec une brèche dans la coque suite à une collision. Dans la longue liste des interventions de secours en mer, deux sauvetages résument la diversité et l'âpreté du métier pour les 12 marins embarqués sur un remorqueur hauturier hors normes.
31 12 2015 : Time Sheet M/v Koningsborg, 130 m de long en difficulté dans l'ouest de l'île d'Ouessant dans la zone côtière de séparation du trafic, le rail d'Ouessant :
- ripage de cargaison, packs de bois tombés à l'eau et avarie moteur,
- jusqu'à 25 degrés de gîte dans la houle d'ouest.
Après 16 heures d'interventions par force 7 beaufort et des creux de 6 à 7 mètres, le capelage de deux pantoires sur le bollard avant du cargo, la première remorque ayant cassée à hauteur des Pierres Noires au large de la pointe Saint Mathieu, l’Abeille Bourbon « engaine le goulet par la passe Nord » pour rejoindre et embarquer le pilote au niveau de la tourelle de la Roche Mengam. Le cargo rejoint le poste 15 au port de Brest pour réparation après sa prise en charge par le pilote et un remorqueur portuaire capelé en flèche à l'arrière du Koningsborg, à 20 heures, l’Abeille Bourbon vire sa remorque dans le goulet de la rade de Brest.
21h 00 le remorqueur R.I.A.S. Abeille Bourbon, rejoint Ouessant en baie du Stiff pour standby météorologique sur ordre du COM. 27 janvier 2022,
Remorquage du porte-conteneurs Cartagena Express, 333 mètres de long, avarie machine.
« Le porte-conteneurs « CARTAGENA EXPRESS » est le plus grand navire remorqué en opération réelle dans le cadre de la protection du littoral sous l’autorité du préfet maritime de l’Atlantique. Ce remorquage est exceptionnel car nous atteignons des tailles de navires hors normes. Toute la difficulté d’un tel remorquage est de « dompter » le navire sans se laisser entrainer par sa dérive. Réussir à mettre les navires en avarie à l’abri, tel est notre leitmotiv permanent pour protéger les côtes françaises ».
Un sauvetage réussi est avant tout une catastrophe évitée. L'exemple des capitaines de navire qui ne respectent pas le rail montant et coupent au plus près du continent est courant. Ainsi les parages de la fosse d’Ouessant et de la chaussée de l'île Keller rabattent toujours les navires à la côte. Avec les tirants d'eau des navires actuels, les hauts fonds et les courants associés ne pardonnent pas. Le Commandant du remorqueur devient négociateur pour convaincre un autre commandant de parer le danger en arrondissant son cap sur la carte marine du bord.
L’évolution du remorquage d'urgence des navires en difficultés
Thierry Choquet au terme d’une carrière exceptionnelle dont 32 ans au service des Abeilles international, est aux commandes de l’Abeille Bourbon depuis 19 ans. Il démontre par son parcours professionnel personnel, les vertues de apprentissage permanent, seule école du Sauvetage en mer pour les équipages des remorqueurs d'assistance aux navires en difficultés. Cultivant l'art de la manœuvre avec l'expérience, sa pratique du remorquage est empreinte de respect, de rigueur, de sécurité et d'humilité pour son bateau et son équipage à la mer. En 1992, 60 000 navires transitent au large d'Ouessant, à l'entrée de l'Europe. En 2024, moins de 50 000 navires empruntent le rail d'Ouessant. Si le nombre de navires diminue, leur taille et leur tonnage augmente. Le Jacques Saadé CMA CGM, l'un des plus gros porte-conteneurs High-tech au monde, est le premier en 2019, d'une série de neufs navires : 400 mètres de long, 61,50 m de large, 16 m de tirant d'eau, 78 mètres de haut de de la passerelle à la quille pour une capacité de 23 000 conteneurs EVP. Le gigantisme des navires s'accompagne aussi d'une diminution de la consommation d’énergies fossiles confirmant la volonté de réduire progressivement l’empreinte carbone du transport maritime mondial. Un plein de 18600 m3 de GNL suffit pour une rotation de 23272 milles marins soit la distance entre l’Asie et l’Europe du Nord, réduisant sensiblement aussi les rejets polluants (particules fines) émis par les moteurs cathédrales de ces géants des mers. Second du type en décembre 2020, Palais Royal a été vu en 2023 pour la première fois en rade de Marseille.. 80 % du trafic économique mondial passe par la mer. Ce nouveau standard de gros porteur apparaît comme un véritable défi pour le remorquage hauturier, préfigurant à moyen terme, une nouvelle génération de remorqueurs.
Distinctions du Commandant Thierry Choquet :
Chevalier du Mérite Maritime en 2000
Officier du Mérite Maritime en 2009.
Chevalier de la légion d'honneur remise par le préfet maritime, le VAE (2S) Emmanuel de Oliveira le 15 juin 2016.
© Eric Berthou